Le visage collé contre la vitre arrière du bus, le jeune garçon portant le nom de Samuel bailla longuement. Assis sur son siège, cela faisait maintenant une petite heure qu’il attendait que le trajet se termine et le soleil avait déjà commencé à décliner pour disparaître derrière quelques montagnes au loin qui couvraient l’horizon. Le bus n’était pas spécialement plein alors il avait pu s’asseoir tout à l’arrière en prenant plusieurs places pour y déposer ses quelques affaires. Après tout il serait bientôt résident de la “prestigieuse” université de Yokohana. Un endroit qui accueillait des monstres qui au sens du garçon, n’auraient jamais dû voir le jour. Un rictus apparut sur son visage alors qu’il commença à bailler longuement, épuisé par le trajet. Lui aussi était une de ces abominations alors il était assez mal placé pour se moquer de ces derniers.

Il reposa de nouveau sa tête contre la vitre pour observer le paysage nocturne qui défilait. Se questionnant pour une énième fois s’il avait fait le bon choix de venir ici. Selon les ce qu’il avait ouïe dire, des gens là-bas seraient capable de lui apprendre à canaliser ce qu’il considérait comme sa malédiction. Peut-être était-ce le dernier fragment d’espoir qui vivait en lui qui l’avait poussé à prendre le premier avion pour le japon et s’inscrire à cette université qui ne manquait pas de mérites. Peut-être un peu trop au goût de l’adolescent qui trouvait cela un peu louche sur les bords.
Il ouvrit son sac pour y chercher le prospectus qu’il avait imprimé sur le site internet de l’université. Étonnamment, il était le seul de son entourage à pouvoir le lire. Les autres n’y voyaient là qu’un papier vierge. C’était sans doute lié à une magie quelconque empêchant les humains de voir le pot-aux-roses derrière la grandeur de l’université.

Il pouvait lire sur le prospectus que l’académie était un lieu de refuge pour des gens spéciaux, tout comme lui. Il pouvait y lire les différents cours qu’il aurait à subir une fois sur place. En un sens, ces derniers faisaient un petit peu plus rêver que les cours de mathématiques ou de sciences de la vie qu’il avait déjà pu endurer dans son dernier collège. Mais d’un autre côté, il ne comprenait pas encore ce que pourraient apporter ces matières dans son plan de carrière professionnel une fois adulte. Il ricana sans un bruit en s’imaginant faire des conférences sur les runes pour gagner sa vie, bien qu’il n’avait pour le moment pas la moindre idée de ce que pouvait être une rune.

“Pourquoi tu fixes ce papier gamin ?” se fit entendre une voix devant lui.
Il leva la tête pour voir un vieil homme qui s’était mis à genoux sur son son siège pour le fixer. Lui aussi avec un gros sac avec lui et ses vêtements laissaient imaginer le fait qu’il soit un vagabond ou une sorte de sans domicile fixe. Son air un peu loufoque mit à mal le sérieux du jeune garçon qui baissa un peu les yeux de honte. Pour un simple humain, il devait simplement ressembler à un jeune garçon fixant un papier blanc. En effet, cela pouvait soulever quelques questions. Le vieil homme s’exprimant en japonais, Samuel se concentra pour essayer de s’exprimer comme il le pouvait avec les quelques mots qu’il avait appris lors de ses deux semaines d’apprentissages intensifs de la langue.
“Erm… je lis une sorte de papier magique. Seulement lisible par les rebuts dans mon genre.”
Devant la mine circonspecte du vieillard, Samuel se leva et pressa le bouton pour demander l’arrêt. Il passerait très certainement pour un fou aux yeux de cet homme, mais il s’en moquait éperdument. Il n’y avait plus grand chose qui l'intéressait de toute manière.

Une fois descendu du bus avec toutes ses affaires, il commença à marcher dans la nuit en s’aidant de son téléphone comme GPS pour trouver le campus Yokohana. Il n’était pas très loin et selon les données que lui offraient son téléphone, il n’en aurait pas pour plus d’une dizaine de minutes de marche. Ce n’était pas dérangeant pour lui qui avait l’habitude d’être seul. Son “don” qui pour lui était une malédiction l’avait toujours empêché d’avoir des proches sur de longues durées. Alors il terminait toujours exclu, mit en retrait, moqué par des gens qui le jour d’avant étaient ses amis. Les enfants sont cruels après tout. Pas par méchanceté pure, mais pour la survie de chaque groupe, il faut toujours un mouton noir. Et ce mouton avait toujours été Samuel.
Les larmes lui montèrent lentement aux yeux. Les mauvais souvenirs commençaient à refaire surface.

Il repensa à sa grande soeur qui avait fini par l’oublier il y a quelques jours suite à un voyage scolaire de sa part dans un autre pays. Ce fût la goutte de trop pour le garçon. Lui qui pensait au départ que les gens faisaient juste semblant de l’oublier pour mieux se moquer de lui, il avait compris qu’il avait un sérieux problème. Il se mit à écumer les forums, fouiller le net pour trouver une solution à cela. Peut-être était-ce une maladie rarissime ? Et de fil en aiguille, ses recherches l’avaient menés ici. A l’université Yokohana. Il avait pu apprendre qu’il était probablement le fils d’une quelconque divinité. Ce fût tout d’abord un choc lorsqu’il se rendit compte que les dieux et la magie existaient pour de vrai. Cela lui fît réfléchir longuement sur le monde et la vie. Autrefois Athée convaincu, il devait bien se rendre à l’évidence que ces divins existaient pour de bon.

Toutefois, apprendre que de l’essence divine coulait dans ses veines ne lui avait apporté aucune joie. Il s’en voulu énormément de ne pas être le véritable fils d’au moins d’un de ses deux parents. Alors comme ça une divinité s’était juste donnée envie de tirer un coup un jour et il en était né ? C’était un comportement totalement abject. Pourquoi ce divin n’était-il pas resté dans ce cas ? Pourquoi ne lui avait-il jamais fait signe ? Aux yeux de Samuel, la réponse était simple. Les dieux se fichaient bien des descendants qu’ils pouvaient avoir. Son existence n’était due qu’à la lubie d’une entité surpuissante qui s’était ensuite désintéressée bien vite de sa descendance. Et à la vue du nombre de personnes qu’accueillait ce genre d’université, beaucoup de dieux semblaient être de petits plaisantins qui aimaient faire des jeux d’un soir avec un humain.

Samuel serra doucement les poings avant de commencer à rire devant l’incongruité de la situation dans laquelle il se trouvait. Ces divins ne méritaient pas de vivre. Ils n’étaient que des échos d’un passé lointain aujourd’hui oublié. L’humanité se débrouillait très bien sans eux et leur existence n’était plus requise. La création avait dépassée le créateur. Alors les dieux passaient leurs temps à trouver de nouvelles façons de ne pas s’ennuyer ? Qu’ils étaient risibles. Il était né parce qu’une divinité s’ennuyait et avait trouvé un moyen d’échapper à l’ennui pour un soir. Le garçon leva les yeux pour fixer les étoiles. Il n’avait aucune idée de si le divin à l’origine de sa création pouvait l’entendre ou non, mais il s’exclama pour se délivrer d’un poids qu’il avait sur le cœur.

“J’ai aucune idée de qui tu es. Ni de quelle religion tu viens. Et pour tout dire, je m’en moque un peu. Mais sache que je ne te considérerais jamais comme un parent. Mes véritables parents sont ceux qui m’ont élevés. Ma famille n’est composé que de mortels et j’en suis fier. Alors je vais apprendre à contrôler ce fameux don. Et lorsque cela sera fait, je pourrais retourner à ma vie bien tranquille de simple humain. J’espère sincèrement qu’un jour, l’humanité en viendra à t’oublier entièrement, toi et tes semblables. Et ce jour là, vous comprendrez ce que cela fait de n’être rien.”

Il souffla ensuite. Un léger sourire aux lèvres. Cela lui avait fait le plus grand bien et il pu reprendre sa marche nocturne dans le plus grand des silences. Il ne comprenait pas comment des gens pouvaient être fiers d’être des enfants de dieux qui les avaient simplement abandonnés à la naissance. Mais tout cela n’avait guère d’importance car Samuel venait d’arriver aux portes de l’université. Il leva la tête pour fixer le bâtiment, malheureusement avec l’obscurité ambiante il avait du mal à en discerner les formes. Il soupira un long moment ne sachant pas vraiment ce qui l’attendrait derrière ces portes mais désormais il n’avait guère plus le choix. Il fixa une dernière fois les étoiles avec un léger air de défi sur le visage avant de passer les portes de l’université Yokohana. Sa nouvelle vie allait commencer.